Éthiopie: le tabou de la dépression
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La santé mentale est un sujet tabou en Afrique. Pourtant, le taux de suicide sur le continent est le plus élevé au monde : 11 personnes sur 100 000 se donnent la mort chaque année, selon l’OMS. En Éthiopie, les troubles mentaux sont les principales maladies non transmissibles. Dans le pays, les malades sont victimes de discrimination et de stigmatisation. Honteux, peu d’entre eux décident de se faire soigner.
Reportage de notre correspondant à Addis-Abeba,
Charifa souffre d’une dépression sévère à la suite d’un événement traumatisant. Peu après la naissance de son fils, elle assiste au suicide d’une amie très proche. Elle témoigne : « J’étais dans la rue avec elle, je la suppliais de revenir. Je lui ai dit que j’avais un enfant d’un mois à la maison dont je devais m’occuper. Je me suis retournée pour rentrer et elle s’est jetée sous ce maudit camion. » Charifa subit alors les conséquences mentales du trauma à travers un sentiment de culpabilité obsédant : « Je haïssais mon enfant, mon nouveau-né. J’avais toujours cette vision où je me jetais sous un camion avec lui. »
Elle décide alors de se faire interner à l’hôpital pendant un mois pour se faire soigner. Et affronte l’incompréhension de ses proches : « "Mais non Charifa, tu es une personne joyeuse, tu ne peux pas faire ça. Tu peux te soigner avec de l’eau bénite ou le Coran, grâce à la religion. Pourquoi as-tu besoin de la science pour te soigner ?" Expliquer aux gens ce qu’est la santé mentale ou ce que je traversais était la chose la plus difficile que je devais faire. Je fais face à cela tous les jours. »
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Culture du secretLe Docteur Andarge Gedamu, neurologiste et psychiatre, a pris en charge Charifa à la clinique Nordic d’Addis-Abeba. Il estime que près de 30% des patients viennent à l’hôpital pour des troubles mentaux, mais ont du mal à l’admettre. Dans le pays, parler de sa vie privée est mal vu… « Il y a un mot en amharique "gebena" : cela veut dire "je ne veux pas parler de moi-même, c’est privé". Et à cause de cette pression, la majorité des patients n’expriment pas leurs problèmes, ils le gardent secret et cela les rend malades, les dérange et s’accumule dans le corps. C’est un gros problème dans ce pays » explique le docteur.
Au-delà de la culture du secret, les malades se tournent le plus souvent vers des méthodes traditionnelles. « Ils vont dans les eaux sacrées, ou utilisent d’autres formes d’expériences traditionnelles. C’est un soutien, je n’ai pas d’opinion négative sur ces formes de soin. Ce serait bien qu’on puisse les combiner avec les traitements modernes » indique le neurologue.
Mais les infrastructures manquent. En Éthiopie, il y a environ un psychiatre pour deux millions d'habitants concentrés en ville et dans des hôpitaux… difficile d’accès pour la majorité de la population.
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