Michel Thierry Atangana détenu pendant 17 ans au Cameroun: «Je me bats pour retrouver mes droits»

Michel Thierry Atangana détenu pendant 17 ans au Cameroun: «Je me bats pour retrouver mes droits»

RFI
00:04:37
Link

About this episode

Ce 24 février, cela fera dix ans que, au Cameroun, Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana ont retrouvé la liberté après 17 années de détention. Le premier, Camerounais, ancien secrétaire général à la présidence de Paul Biya, devenu adversaire politique. Le second, Français d'origine camerounaise, présidait le comité de pilotage et de suivi des axes routiers Yaoundé-Kibri et Ayos-Bertoua quand il a été arrêté. Tous deux condamnés pour détournement de fonds. Entretien avec Michel Thierry Atangana.

RFI: Aujourd'hui, à la veille de cette date anniversaire des dix ans de votre libération, que ressentez-vous ?

Michel Thierry Atangana : Un soulagement d'être un peu libre et une tristesse d'être toujours un peu enchaîné. Aussi, une volonté de dire merci à tous ceux qui ont participé à ces libérations. Ceux qui m'ont aidé à être là aujourd'hui et la volonté de vous dire que je me bats toujours pour retrouver mes droits.

« Un peu libre », parce qu'il faut rappeler que vous avez été gracié mais pas innocenté.

Tout à fait.

C’est une sorte de prison intérieure qui sommeille encore chez vous ?

Prison, les chaînes intérieures, les chaînes physiques, les chaînes morales, éthiques... Je ne peux pas travailler, mes droits ne sont pas réglés et les droits des sociétés qui m'emploient ne sont pas toujours réglés, donc il reste beaucoup de chemin à faire et c'est sur ça que je travaille aujourd'hui.

Il faut rappeler que vous avez été emprisonné pendant 17 ans dans une pièce qui est plus petite que celle où nous nous trouvons actuellement : 7 m², semi-enterrée, quasiment une cave, presqu'un tombeau, dites-vous, pas de lumière, deux à trois heures de permission de sortie à l'extérieur. On ne sort pas indemne de ce genre d'épreuve ?

Je ne pense même pas qu'un jour je pourrais effacer toutes ces souffrances. Elles sont là, elles habitent avec moi, elles m'accompagnent. Elles détruisent mes nuits. Mon sommeil est léger, ma vie est marquée par cette longue souffrance. La solitude spirituelle, mentale, morale et l'indifférence, voilà. Au-delà de moi, je veux lancer un message d'espérance aux personnes qui sont détenues à l'étranger. Pour leur dire mon soutien. N'abandonnez pas. Continuez à œuvrer pour la libération de ceux qui souffrent.

Votre lutte, Michel Thierry Atangana, pour demander réparation, a eu au moins une vertu : celle de faire voter en France une loi permettant à l'autorité judiciaire d'engager des procédures pour protéger des cas comme le vôtre.

C'est le sens de mon combat. Je remercie le Parlement français qui a pu voter cette loi qui, de par mon exemple aujourd'hui, peut servir à ne pas laisser la France abandonner ses enfants à l'étranger. Cette loi permet de mieux protéger les Français qui vivent à l'étranger. C'est-à-dire que, maintenant, les rapports des Nations unies et des ONG sont recevables devant le juge français. C'est très important. Et même vos enquêtes, en tant que journalistes, sont des faisceaux de preuves pour les victimes. Parce que la victime, dans mon cas, avait du mal à peser devant le poids de la raison d'État. Les rapports diplomatiques sont beaucoup plus lourds que les individus. Cette loi donne une légitimité à toute personne en détention arbitraire qui veut pouvoir espérer une justice équitable, c'est très important.

C'est pour cela que vous avez créé votre association, l'association Atangana contre l'oppression et l'arbitraire. Quel est son rôle, quels sont ses objectifs ?

L'association œuvre pour pouvoir accompagner les victimes et les familles dans un premier temps. L'alerte en cas de détention arbitraire, et aussi l'accompagnement, parce que les procédures d'indemnisation sont très complexes et je pense qu'à mon avis, c'est très important d'avoir un accompagnement spécifique. Sur le nombre d'associations en France de victimes, il n'y en a pas qui s'occupent de personnes détenues à l'extérieur de France, donc l'association a un rôle très important. Aujourd'hui, on a une section de travail avec l'Union européenne pour que la loi qui a été votée en France soit aussi acceptée par l'Union européenne. Nous travaillons ce sens-là, ça prend du temps. Le temps de la justice n'est pas le temps humain, malheureusement. J’ai en charge une victime, mais je ne m'en réjouis pas mais justement, c'est dans mes discussions avec les soutiens politiques et parlementaires, leur dire : « Non, il faut des mesures d'assouplissement plus rapides ! » Depuis dix ans, ce qu'on m'a proposé, les aides sociales, j'ai dit non. J'ai besoin d'une indemnisation en lien avec ce que je suis, en tant que victime, pas en tant qu'aide. Mais ça prend du temps. Je demande la justice, ce n’est pas trop demandé ! Je ne demande rien d'autre, je n’ai pas d'autres ambitions et je le fais surtout pour mes enfants. Je le dis clairement : je ne voudrais pas que mes enfants portent cette « tâche » dans toute leur vie. Ceux qui s'appellent Atangana, je voudrais qu'ils soient fiers de porter mon nom.