Sénégal: la tenue de la présidentielle avant le 2 avril «compliquée mais pas impossible»
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Ce lundi 4 mars, le président Macky Sall doit recevoir les conclusions du « dialogue national » qui a proposé de reporter la présidentielle au 2 juin et de l’élargir à de nouveaux candidats. Beaucoup guettent la réaction du chef de l’État, mais aussi celle du Conseil constitutionnel, qui avait dit que le vote devait avoir lieu avant le 2 avril. Va-t-on vers de nouvelles tensions ? Entretien avec Mamadou Lamine Sarr qui enseigne les sciences politiques à l'université numérique Cheikh-Hamidou-Kane de Dakar.
RFI : Que pensez-vous d'un report de la présidentielle au 2 juin, comme l'a proposé le dialogue de la semaine dernière ?
Mamadou Lamine Sarr : Je pense qu'une telle proposition est non seulement contre l'ordre institutionnel, mais également, ça va à l'encontre de la récente décision du Conseil constitutionnel qui demandait au président de la République d’organiser les élections dans les meilleurs délais, tout en précisant que le mandat du président ne pouvait pas être ni diminué ni allongé. Donc, cette élection-là devait être organisée avant le 2 avril.
De son côté, le président Macky Sall dit qu'il quittera ses fonctions au terme de son mandat, le 2 avril. Il l'a encore écrit jeudi dans un message sur son compte X. Est-ce que vous pensez qu'on peut le prendre au mot ?
Vous savez, actuellement, il est extrêmement difficile de croire à toutes les déclarations de tous les acteurs politiques au Sénégal, parce qu’il y a une rupture de confiance entre les acteurs politiques – notamment le président de la République – et une grande majorité des Sénégalais. À partir de là, personne ne peut garantir aujourd'hui que ce sera le cas. Je précise que le président a également précisé qu’il est prêt à quitter le pouvoir le 2 avril, mais que si on lui demande [de rester] pour le bien de la nation, il serait prêt à le faire. Donc, il y a encore une ambiguïté dans tout ça. Et, encore une fois, tout cela découle d'une décision qui n'aurait pas dû, à mon avis, être prise le 3 février dernier.
Dans un point de presse jeudi dernier, le ministre de l'Intérieur, Sidiki Kaba, a évoqué l'hypothèse que Macky Sall quitte le pouvoir le 2 avril et que la transition soit assurée par le président de l'Assemblée nationale, Amadou Mame Diop. Qu'en pensez-vous ?
Cette décision-là ne revient pas au ministre. Si une telle décision doit être prise, elle revient au Conseil constitutionnel. Donc pour moi, c'est une supputation qu'on fait selon des intérêts ou une volonté, en tout cas, de replonger le pays dans l'incertitude. Ce qui est sûr, c'est qu'une telle décision appartient aujourd'hui au Conseil constitutionnel.
Alors justement, le président Macky Sall affirme qu'il va demander son avis au Conseil constitutionnel sur les recommandations du dialogue de la semaine dernière. Est-ce que c'est bon signe pour vous ?
Je ne sais pas si c'est bon signe, mais ce qui est certain, c'est que le Conseil constitutionnel est encore une fois, comme le 15 février dernier, devant l'Histoire. C'est-à-dire que si le Conseil constitutionnel valide la proposition issue du dialogue, je considère que cela va à l'encontre de ce qu'il avait préconisé, de ce qu'il avait dit le 15 février dernier. Donc, le Conseil ne peut pas dire deux choses différentes en moins de 15 jours, ça serait inexplicable.
Vous dites que, si le Conseil est cohérent avec lui-même, il doit obliger les élections à se tenir avant le 2 avril, mais en pratique, c'est à peine dans un mois, est-ce qu'on aura le temps de faire deux tours de présidentielle en quelques semaines ?
Il est vrai que tout le calendrier est chamboulé. Maintenant, est-ce qu'on a besoin en ce moment d'avoir une campagne électorale traditionnelle ? Est-ce qu’entre les deux tours, s'il y en a, on a besoin d'attendre 15 jours pour organiser le second tour ? Donc, les élections le 2 avril, c'est compliqué, mais à mon avis, pas impossible.
Autre proposition du dialogue de la semaine dernière, l'élargissement de la liste actuelle des 19 candidats à d'autres candidats qui avaient été recalés. On pense bien sûr à Karim Wade et à Ousmane Sonko. Qu'en pensez-vous ?
Ça également, c'est une autre décision qui, à mon avis, vient affaiblir le Conseil constitutionnel. Il n’y a aucune légitimité juridique ni politique, à mon avis, pour une telle décision. Le Conseil ne peut pas dire le 15 février dernier que l'élection doit se tenir avec les candidats qui ont été retenus et le dialogue élargir cela. Que ce soit Karim Wade, Ousmane Sonko, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c'est que le Conseil constitutionnel a déterminé les candidats qui doivent participer à cette élection présidentielle. Cette décision, comme celle de la date, doit être respectée. L'ordre constitutionnel dans un État est extrêmement important, c'est le socle de notre démocratie.
Beaucoup disent à Dakar que Macky Sall a décidé de reporter la présidentielle du 25 février parce qu'il veut réintégrer Karim Wade dans la course, afin d'en faire un allié contre le camp Ousmane Sonko.
Personnellement, je n'ai pas d'éléments pour étayer cette supposition. Ce qui est certain, c'est qu’on ne peut pas s'empêcher de croire effectivement à un deal politique entre le camp présidentiel et le parti démocratique sénégalais de Monsieur Karim Wade, on ne peut pas l'exclure.
On dit que Macky Sall ne serait pas sûr que son dauphin Amadou Ba puisse gagner à lui tout seul et qu'il aimerait qu'il bénéficie du soutien de Karim Wade en cas de deuxième tour…
Ce n'est pas à exclure parce qu’effectivement, d'une part, Monsieur Amadou Ba est quelqu'un qui connaît le fonctionnement de l'État, qui a été dans l'administration étatique publique. Par contre, il n'a pas une légitimité politique, il n'a pas une base politique. Et donc, ce manque de légitimité, ce manque de présence politique, effectivement, font que, dans le camp présidentiel, il y a eu des voix pour contester un peu le choix de Monsieur Amadou Ba. Donc effectivement, vu de ce point-là, on peut penser que le deal politique pourrait porter sur une combinaison, sur un soutien du parti démocratique sénégalais au candidat de Benno Bokk Yakaar.
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