Une leçon d’écriture, avec la romancière mauricienne Shenaz Patel

Une leçon d’écriture, avec la romancière mauricienne Shenaz Patel

RFI
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Entre essais, poésie et nouvelles, Desêtre et autres fragments est un recueil de textes littéraires proposé par la promotion 2023 de l’atelier de l’écriture que parraine l’Institut français de Maurice. Rédigés sous le regard attentif et généreux de la romancière et journaliste Shenaz Patel, ces textes témoignent d’un véritable élan pour la littérature et du goût pour l’écriture parmi la jeune génération de Mauriciens.

Ils s’appellent Cédric, Dhanistha, Romain, Léo, Mathilde, Enzo, Izza, Sunny, Chole et Yann. Un groupe hétéroclite de onze filles et garçons, entre 16 et 19 ans. Ils sont les auteurs des vingt-deux textes qui composent le recueil Désêtre et autres fragments, né des travaux de la promotion 2023 de l’atelier d’écriture qu’organise depuis deux ans l’Institut français de Maurice.

Les textes que comporte le recueil témoignent de vécus souvent dramatiques des auteurs, de leurs imaginations fertiles et des ambitions littéraires de cette jeunesse mauricienne pas comme les autres, amoureuse de l’écriture. « C’est une jeunesse profondément curieuse de livres et de ce que la littérature peut leur amener », déclare la romancière et journaliste Shenaz Patel qui a animé, après Barlen Pyamootoo en 2022, la dernière édition de l’atelier connu sous le nom de Bureau des jeunes lecteurs-auteurs de Maurice. « Nous avons démarré au mois de février, poursuit Patel, et ça a été une grande surprise pour moi parce qu’il y a dans l'équipe des jeunes qui ne viennent pas de milieu traditionnellement associé à la lecture et à l’écriture. Certains de ces jeunes ont découvert l’écriture et la littérature il y a à peine deux ans, pendant le confinement. Je trouve ça absolument magique de voir ces jeunes, qui, soudain, découvrent la littérature et qui découvrent à quel point elle leur est essentielle en fait dans leur vie. Nous nous sommes retrouvés tous les samedis matins à l’Institut français à Rose-Hill et là, j'ai vu certains de ces jeunes qui habitent à l’autre bout de l’île faire quatre heures de bus chaque samedi pour être là à 9 heures du matin pour parler littérature, pour parler écriture. »

« Il faut vivre pour écrire »

Onze jeunes sur les 17 filles et garçons inscrits initialement sont allés jusqu’au bout de l’aventure. Cet atelier d’écriture hebdomadaire fut, d’après l’animatrice, une véritable expérience de vie commune, ponctuée de sorties au cinéma, au théâtre et parfois à des expositions. « Je n’ai eu de cesse de répéter à ces jeunes qu’il fallait vivre pour écrire », raconte Shenaz Patel. L’autre phrase que les onze de Rose-Hill ont régulièrement entendue de la bouche de leur animatrice devenue amie : « Nous sommes ce que nous lisons… ». Du coup, ils ont beaucoup lu : des Mauriciens, des Français, des Américains. Une variété d’ouvrages, les classiques, mais pas que, comme l'explique l'animatrice. 

« J’ai d’abord commencé par leur proposer des lectures, c’est beaucoup de littérature contemporaine en fait, parce que j’avais envie qu’ils voient que la littérature, ce n'est pas un truc figé, c’est quelque chose qui est profondément vivant, comme eux. Dans la littérature, ce qui m’a toujours fasciné, c’est ce double mouvement qui permet d’une part d’aller très profondément à l’intérieur de soi, parce que parfois, on vit des choses et on n’arrive pas à les formuler. Et puis, on lit un livre. Et soudain, il y a un écho très fort dans ce qu’on lit. On se dit que l'on n'est pas tout seul parce que l’auteur, lui, est arrivé à mettre des mots sur des choses que je ressens et que je n’arrive pas à exprimer. Et puis, il y a l’autre mouvement qui est vers l’extérieur, qui nous permet d’aller à la rencontre de personnes qu’on ne rencontrera peut-être jamais dans la vie réelle. Quand j’écris, je suis Dieu parce que je peux créer des personnes que j’aurais aimé rencontrer et que je ne rencontrerai probablement pas dans la vie réelle. Si ces personnes m’ennuient, je peux les tuer. Si au bout de quelque temps, elles me manquent, je peux les ressusciter. Autant de choses que nous ne pouvons pas faire dans la vie réelle. »

C’est sans doute parce que les participants au Bureau des jeunes lecteurs-auteurs ont voulu jouer à Dieu à leur tour qu’est née l’idée d’une publication de fin d’atelier, avec le nom des auteurs sur la couverture. Le titre de leur publication Desêtre provient d’un poème proposé par l’un des participants, un poème qui disait « Je voudrais « desêtre » pour briser mes chaînes et ne plus souffrir ». « J’ai trouvé ce poème très beau, très poignant. En tant qu’auteur, j’aurais aimé inventer ça… », confie Shenaz Patel.

« Écrire c'est partager un secret »

Desêtre compte deux textes, sous la signature de chacun des participants : un récit inventé, imaginé, parfois réaliste, plus un texte proche du genre essai dans lequel les auteurs se donnent libre cours à leurs réflexions et intuitions sur l’écriture. Il y en a tout, vingt-deux textes entre récits fantastiques, nouvelles et écriture de soi révélant des fragilités, des vulnérabilités… « L’enjeu était de faire comprendre, se souvient Shenaz Patel, qu’écrire, ce n’est pas vomir ses tripes. » Ont suivi huit mois de débats, de crises, de moments émouvants, de littérature partagée aussi. En somme, « un travail passionnant », si l’on croit l’animatrice.

La passion des participants à l'atelier de Rose Hill lit dans les pages du recueil, en particulier dans celles qui évoquent les rapports que ces auteurs balbutiants entretiennent avec la littérature et l'écriture. « Ils disent souvent des choses très personnelles sur leur rapport à l’écriture, souligne Shenaz Patel.  Elle cite à l'appui Léo Espègle, 18 ans : « Quand j’écris, j’ôte mon cœur de mon corps, je le pose délicatement sur la table et, muni de mon stylo, je le mutile, je le poignarde et le remets troué dans ma poitrine. » « L’écriture me dompte. Son pouvoir inouï relie mes émotions et les apaise. Ces mots, ces phrases, ces textes se présentent à moi comme une mine d’or ou une grenade prête à exploser », s'exclame  pour sa part Mathilde Valéry.  Pour Cédric Léopold« l’écriture est un enfant qui cherche à briser les murs du temps et laissant s’échapper un bruyant cri ou un long murmure qui parcourt chaque recoin de l’être, agissant comme une brûlure terrible, mais réconfortante à la fois. »

L'animatrice cite aussi Romain David qui répond à la question « pourquoi écrivez-vous ? » : « On écrit pour se libérer d’un poids tellement grand. Tellement lourd/ On écrit pour sauter en l’air et faire sortir cette joie de vivre qu’on a, cette gaieté qu’on veut partager./ On écrit pour ne pas être seul, on crée des personnages pour nous accompagner, nous comprendre, nous redonner de la force et avancer. / On écrit pour ne pas commettre l’irréparable et passer de l’autre côté./ On écrit comme un secret partagé. »

Les extraits cités ici sont autant de portes qui s'ouvrent sur des mondes intérieurs, riches en promesses et en secrets. Ils sont surtout emblématiques du ton de cette anthologie mauricienne. Un ton brut, lyrique parfois, surtout prometteur d'aubes nouvelles.

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Desêtre et autres fragments, par le collectif du Bureau des jeunes lecteurs-auteurs de la promotion 2023 de l’Institut français de Maurice accompagné par Shenaz Patel. 188 pages, prix non indiqué.